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Petite histoire des sociétés  (4/6)

À la base des cultures

 

Maintenant, faisons un petit effort d'abstraction pour considérer l'enchaînement des faits proposé ici : il semble dans mon texte que c'est le mode de production alimentaire d'une société qui détermine tous ses autres aspects, tels que sa croissance démographique, ainsi que son mode de vie nomade ou sédentaire, sa quantité de richesses, son degré d'immersion dans la nature ou son niveau d'urbanisation, des inventions comme l'écriture, les motivations et les justifications psychologiques pour s'accaparer les biens des autres sociétés, avec des conséquences meurtrières comme les guerres, ou encore la teneur de sa religion comme je le montrerai plus loin.

Ce genre de déterminisme expliquant jusqu'au monde des idées en partant des besoins les plus concrets me fascine, mais pour être honnête, je dois avouer que je ne peux pas le démontrer clairement. En effet, tel le dilemme de l'œuf ou de la poule, on est en droit de se demander qui détermine qui, entre le matériel et le culturel ? Car bon nombre de chercheurs considèrent également qu'on peut expliquer des inventions comme l'agriculture, l'écriture, etc. par la religion et les idées qui prévalaient alors.

Ce n'est pas mon point de vue, mais force est de constater que le débat peut durer longtemps... Parce que même muni d'une machine à remonter le temps, il doit être difficile de démontrer quel événement entraîne l'autre, et de démêler les causes de leurs conséquences.

Bref, bien que je ne puisse pas la démontrer de manière irréfutable, j'aimerais quand même préciser la façon dont je vois les choses, histoire d'aller au bout de mes idées.

À la base d'une culture humaine, il y a selon moi, la société qui la produit, et à la base de la société il y a son organisation économique, qui correspond en ethnologie, d'abord à la manière dont on obtient son alimentation. Car oui, l'économie n'est pas juste l'étude des marchés, de la croissance, de la monnaie ou encore de la finance. Elle a plusieurs secteurs comme on l'explique souvent, et son secteur primaire est celui de l'alimentation. C'est la base de l'économie, qui oriente la structure d'une société, qui elle-même façonne la culture au sens large (à savoir tout ce qui se transmet d'un esprit à un autre) et par conséquent tout ce qui est de l'ordre des idées, de la philosophie, du savoir, des croyances et même de la religion.

Pour le dire plus rapidement, d'après moi, l'être humain est d'abord conditionné par la nécessité de s'alimenter, puis par la société qui lui permet de se nourrir, puis par sa culture, ses idées, etc.

 

Sociétés et religions

 

Ainsi, selon le type de société dans lequel vivent les humains, ils n'ont pas les mêmes préoccupations, et donc ils n'attendent pas la même chose de leur culture. On peut donc dire que la culture, et y compris la religion, s'adaptent à la société dans laquelle on vit, et certains diront même que chaque individu adapte sa religion à sa convenance, mais c'est un problème plus psychologique qui n'a pas sa place ici dans un essai sur les sociétés.

Ainsi, chez les chasseurs-cueilleurs, tout le monde semble immergé dans la nature, et on lui rend un culte en tenant compte du fait qu'on est une partie de ce tout sauvage, et donc sans concevoir le domaine du sacré comme une entité à part. On peut aussi qualifier l’approche religieuse des chasseurs-cueilleurs d'animiste, étant donné que dans beaucoup de ces sociétés on considère les êtres vivants, les objets et les éléments naturels comme animés par un esprit, une âme. Quand à ses aspects plus pratiques, la religion semble surtout concernée par l'espoir de réussite à la chasse, et par le désir de maintenir les bons approvisionnements offerts par la nature.

Alors que dans les sociétés agricoles, l'humain semble plus dissocié de la nature : il impose lui-même ses propres contraintes à des animaux et des plantes éloignés du milieu sauvage, mais dépend quand même de la météo pour la fécondité de ses cultures. Il rend donc un culte à des dieux situés en dehors du monde naturel, dans « l'au-delà » comme on dit, où les divinités répondent à des besoins pragmatiques précis, un peu comme si elles avaient été domestiquées elles-aussi ; et que l'on sollicite particulièrement dans l'espoir de rendre les êtres fertiles, car le point crucial pour ces sociétés est que les plantes et les animaux utiles aux humains, ainsi que les humains eux-mêmes, restent fertiles.

Enfin à l'époque dénommée « période axiale » où sont apparues en divers endroits de la planète des religions et des philosophies morales comme le Bouddhisme, le Jaïnisme, le Confucianisme, le Taoïsme, plusieurs prophètes du Judaïsme, l'Épicurisme ou encore le Stoïcisme, il semble que la vie dans de vastes sociétés ait poussé la religion à devenir moralisatrice, afin qu'on contrôle un peu plus ses instincts, et tout ce qui pourrait poser problème à d'autres membres d'une grande société si on les jalouse, les vole, les blesse, voire les tue, bref si on manque de « self-control ». Car de telles religions ou philosophies visent à moraliser les comportements pour tendre à une vie commune meilleure ; elles célèbrent ainsi tous ceux qui mènent une vie exemplaire. Et à mon avis, le Christianisme et l'Islam s'inscrivent dans cette même démarche, bien qu'ils soient apparus plus tardivement...

Pour conclure ce passage sur la religion, je pense que les religions suivent l'évolution des sociétés, et je crois que ce sont les humains qui créent des dieux pour leurs besoins plutôt que l'inverse, car si les dieux étaient bel et bien des puissances venues des cieux, ils auraient mis d'accord toutes les cultures entre elles, non ? Pour le dire un peu plus subtilement, le fait que tout change sans cesse et partout, ne milite pas en faveur de l'idée que le sacré est nécessairement immuable, et qu'il faille donc obéir aveuglément à des règles de vie issues de sociétés historiquement ou culturellement très différentes de la nôtre.

 

La révolution industrielle

 

Tout évolue, et parfois les changements affectent en profondeur les sociétés ; j'en viens donc à l'autre grande révolution qui a bouleversé le mode de fonctionnement des sociétés humaines : la révolution industrielle, rendue possible par une autre révolution agricole (encore une) avec l'abandon de la jachère pour les techniques d'assolements, et l'utilisation des amendements qui ont permis de nourrir toujours plus d'habitants.

La révolution industrielle à débuté en Angleterre au XVIIIème siècle avec l'invention de machines à vapeur et de métiers à tisser ; mais elle a surtout modifié puissamment les sociétés occidentales au XIXème siècle, en créant des usines, en augmentant la taille des villes, en permettant la construction de lignes de chemin de fer, de bateaux plus gros et plus rapides que les voiliers, en développant le commerce international, etc.

Selon moi, le plus grand changement de la révolution industrielle a été le passage d'une majorité de la population se consacrant aux travaux ruraux vers des travaux nouveaux : en usine ou à la ville principalement. Ainsi, au XIXème siècle, cette abondance de constructions nouvelles, cette profusion d'inventions, de percées scientifiques, de théories novatrices et d'innombrables œuvres d'art ne s'expliquent pas à mon avis par une soudaine vague d'intelligence qui aurait frappé l'Occident, mais par cette évolution du travail qui a mécaniquement abouti à plus de gens ayant plus de temps pour travailler à autre chose que l'agriculture ou l'élevage. Tout cela a permis à une majorité de la population de se consacrer à la création de biens industriels ou culturels, et donc d'engendrer de nouvelles richesses et découvertes.

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