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Petite histoire des sociétés  (3/6)

La révolution néolithique

 

Nous voici il y a environ 10 000 ans, quelque part dans le croissant fertile : nos amis chasseurs-cueilleurs constatent depuis quelques années un bien étrange spectacle chez leurs voisins. Ces derniers ne se déplacent plus, mais entretiennent avec un zèle fervent une parcelle de terre où poussent des plantes : du blé et de l'orge, notamment. Comme nous l'avons vu plus haut, c'est aux femmes que revenaient les travaux de cueillettes des plantes, il y a donc fort à parier que l'idée de l'agriculture soit venue des femmes... Ont-elles pensé aux conséquences heureuses et malheureuses d'une telle révolution à très long terme ? Ce serait surprenant.

Sans doute qu'elles se sont même dit un truc du genre : « de toute façon si ça ne marche pas, on revient à notre mode de vie de chasse et de cueillette ! » C'était méconnaître le pouvoir de séduction des plantes à fleurs, capables de faire venir à elles des insectes ou autres animaux pour assouvir leur besoin de reproduction. C'est d'ailleurs une thèse défendue par Yuval N. Harari dans son ouvrage « Sapiens », à savoir que ce sont les plantes qui nous ont domestiqué plutôt que l'inverse, puisqu'elles y auraient gagné plus que nous au change. Mais à titre personnel, je pense qu'il vaut mieux parler de co-évolution entre les plantes et nous.

En tout cas, « l'invention de l'agriculture » n'a pas fait qu'engendrer un mode de vie sédentaire pour les humains, désormais obligés de rester au même endroit pour bichonner ces êtres vivants « plantés » dans la terre. Elle a aussi fini par déclencher une révolution démographique.

Car les humains aiment faire des enfants ! On a même l'impression que la nature nous a programmé pour adorer cela ! Et quand on a un surplus de ressources alimentaires, dues à une agriculture et/ou un élevage plus productifs, on n'hésite pas à accroitre sa descendance...

Je vous passe les détails, mais le fait est que la population a finie par fortement augmenter. Et cela dans divers endroits de la planète, plus ou moins à la même époque : au Moyen-Orient donc avec la culture du blé et de l'orge, mais aussi en Amérique centrale avec le maïs, en Chine avec le riz, dans les Andes avec la pomme de terre et le quinoa, et peut-être même en Nouvelle-Guinée avec le taro.

Puis, beaucoup plus tard, dans la plupart de ces régions, les premières villes apparaissent -c'est dire que l'accroissement démographique a continué sur sa lancée- et bientôt, les premiers États pour administrer de telles villes. Une petite partie de la population peut même se consacrer à des activités non-alimentaires, telles que l'artisanat qui a permis le développement d'un commerce à plus grande échelle, et qui semble être à l'origine de l'écriture. En effet, les premières inscriptions de l'histoire désignent des quantités de produits ou d'animaux, un peu comme si on cherchait à se souvenir avec qui on avait passé un contrat et pour quelle quantité... D'ailleurs, ce n'est peut-être pas un hasard si l'invention de l'alphabet, encore plus tardive, est due à un peuple de commerçants : les phéniciens...

Avec l'accroissement des richesses, des envieux ont aussi commencé à voir le jour, et les États ont dû créer des groupes armés de plus en plus étendus et puissants, sans doute au départ pour protéger les biens de leurs citoyens, mais ils les ont rapidement détournés pour tenter de soumettre les États rivaux et conquérir leurs possessions. Les guerres sont devenues un nouveau moyen d'accroître les richesses, enfin pour les survivants surtout, car on ne revient pas forcément vivant de ce pari là... Toujours est-il que les rois se sont félicités de leurs conquêtes et des prises de butin par leurs armées pendant des siècles. Du coup, l'histoire, depuis qu'elle existe avec l'invention de l'écriture, ressemble à une longue succession de guerres et de batailles.

Mais je parle des cultivateurs et toujours pas de l'élevage ! Car les humains ont aussi domestiqué des animaux. Et d'ailleurs on peut se poser la même question avec les plantes : à qui profite une telle domestication : à nous, ou aux bêtes désormais assurées de leur nourriture, mais aussi parfois dépendantes de notre bon-vouloir pour se reproduire ? Quant à savoir si un animal domestique est plus heureux qu'un animal sauvage, il faut sans doute étudier le problème au cas par cas.

Enfin le point où je voulais en venir est que certaines sociétés se sont spécialisées dans l'élevage, et entretenaient donc des relations étroites avec les cultivateurs, qui leur fournissaient les biens dont elles avaient besoin et leur inspiraient parfois des envies de pillage...

Si on fait un saut dans le temps, on peut dire que des sociétés nomades d'éleveurs de chevaux comme les Huns, les Mongols et les Turcs n'ont pas laissé que des bons souvenirs aux paysans sédentaires qui furent souvent les victimes de leurs massacres. Il faut aussi mentionner les sociétés d'éleveurs de chameaux comme les bédouins d'Arabie ou les Touaregs du Sahara, qui furent des guerriers endurants et de grande valeur.

Éleveurs et agriculteurs se sont souvent affrontées dans l'histoire. Avec la mobilité et la fulgurance des attaques, alliées parfois à une véritable politique de terreur d'un côté ; et de l'autre, le nombre, la discipline et la richesse permettant des armements de pointe...

Alors c'est qui le plus fort entre les deux camps, Papa ? Personne les enfants, car à la guerre tout le monde est perdant !

Enfin il s'agit là d'un point de vue contemporain, car à l'époque les gens ne réfléchissaient pas de cette façon. Ils ne s'imaginaient pas commettre toutes sortes d'atrocités pour ensuite mourir bêtement, comme on pourrait le considérer de nos jours : ils pensaient surtout aux promesses d'enrichissement et considéraient la guerre comme héroïque. Et puis d'un point de vue plus culturel que martial, on peut dire qu'au final, les cultivateurs ne s'en sortaient pas trop mal, car ils attiraient les combattants nomades par leurs richesses, et finissaient souvent par les employer comme guerriers d'exception en utilisant leurs compétences contre d'autres États. Ah avidité, quand tu nous tiens, tu nous ferais même abandonner notre mode de vie natif pour tes richesses !

Pour finir, revenons à ce qui a bien pu susciter un tel accroissement de richesses, avec les inégalités sociales, les tentations de vols, les désirs de pillages, et les stratégies guerrières qui en découlent ? Est-ce comme le suggère le terme de néolithique l'invention de « pierres nouvelles », en clair l'usage de la pierre polie qui en est la cause ? Ou plutôt l'élevage et l'agriculture ? Selon toute vraisemblance, c'est l'élevage et l'agriculture qui ont vraiment engendré la révolution que je vous ai décrite, les pierres polies étant simplement des indices archéologiques de cette époque, ceux qui se conservent le mieux et qu'on retrouve donc en grande quantité sur les sites de cette période.

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