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Petite histoire des sociétés  (2/6)

Les chasseurs-cueilleurs

 

De nombreuses sociétés de chasseurs-cueilleurs ont pu être étudiées par des savants occidentaux jusqu'à leur disparition, sans doute effective au XX ème siècle.

Ces sociétés étaient très différentes les unes des autres, puisqu'elles comprenaient pêle-mêle les Pygmées, les Bochimans, les Inuit, les aborigènes d'Australie, de nombreux amérindiens de la forêt amazonienne, etc. Toutes ces sociétés ont donc survécu en s'isolant de notre mode de vie actuel par des forêts épaisses et quasi-impénétrables, des milieux extrêmes comme le désert glacial de l'arctique ou celui du Kalahari, ou encore protégées par les mers comme les aborigènes d'Australie qui s'y installèrent il y a plus de 50 000 ans et restèrent sans grand contact avec le reste du monde jusqu'à l'arrivée des britanniques au XVIII ème siècle.

Quels peuvent donc être les points communs de sociétés à l'environnement si différent ?

D'abord, on peut dire en général, que dans ces sociétés, ce sont les hommes qui chassent ou pêchent tandis que les femmes cueillent, ramassent, et collectent.

La chasse est une activité plus prestigieuse et fascinante que la cueillette ; pourtant d'un point de vue bassement alimentaire elle est beaucoup plus aléatoire, et sans le travail quotidien des femmes, nos glorieux chasseurs n'auraient pas grand chose à se mettre sous la dent. Bref, si les femmes font vivre le groupe au jour le jour, les hommes apportent des histoires qui sortent de l'ordinaire, et régalent tout le monde avec leur gibier savoureux mais plus compliqué à obtenir. Car chez les chasseurs-cueilleurs on partage avec tout le groupe les fruits de la chasse comme de la cueillette. Pas question de faire bande à part !

Certes les meilleures parts de la chasse reviennent souvent en premier au chasseur qui a tué la bête, puis à sa famille, mais comme on possède peu de biens, chacun se serre les coudes pour partager avec les autres les fruits de son travail. C'est pourquoi on considère généralement que ces sociétés sont plus égalitaires que les nôtres, et qu'elles fonctionnent d'ailleurs bien mieux sans chef. Même si certaines de ces sociétés connaissaient le stockage de nourriture (comme les Aïnu au Japon, ou certains amérindiens de la côte Nord-Ouest d'Amérique), et par conséquent des inégalités sociales et des chefs, ainsi que l'a montré Alain Testart.

Chez les chasseurs-cueilleurs qui ne stockent pas donc, tout le monde participe à l'effort collectif, et on prend le risque d'être expulsé du groupe si on se comporte en individualiste. L'expulsion réelle peut avoir des conséquences dramatiques étant donné que survivre tout seul relève du miracle, et de ce fait, la simple menace de devoir quitter le groupe suffit généralement à calmer les penchants égoïstes des uns ou des autres.

De toute façon, question travail quotidien, on ne demande pas la lune non-plus ! En général environ quatre à cinq heures de travail par jour suffisent dans de bonnes conditions, à assurer le ravitaillement du groupe. On a donc du temps pour se reposer, affuter ses outils, se raconter des histoires ou construire de beaux objets. Mais pour ces derniers, la règle est qu'ils doivent être transportables.

Car les chasseurs-cueilleurs sont des nomades. En effet, pour éviter d'épuiser leurs ressources, ils doivent se déplacer régulièrement sur un vaste territoire. Ils ne peuvent donc pas s'encombrer de trop de matériel. Et chaque groupe qui se déplace constitue l'unité de base de ses sociétés.

Il s'agit d'un petit groupe d'environ une trentaine de personnes, qui vivent ensemble et se déplacent collectivement au gré des besoins. Avec plusieurs autres groupes de ce genre il peut former un peuple, qui possède alors une culture (au sens large du terme) en commun, en particulier un langage compréhensible par les membres de ce peuple.

Mais petite question philosophique : un peuple ou une société a t-il des limites claires ? Bof, hein ! Car une société n'est jamais totalement hermétique : elle est toujours en interaction avec d'autres, et elle a forcément des formes d'échanges économiques ou culturels avec « l'extérieur ». C'est ainsi que peuvent se diffuser les idées mais aussi les innovations pratiques d'une société à une autre... Bref, délimiter une société est une tâche difficile, et d'autant plus de nos jours qu'avec la mondialisation actuelle, les sociétés sont de plus en plus inter-dépendantes.

Mais revenons à nos chasseurs-cueilleurs. Puisqu'ils sont nomades, et occupent un espace immense par rapport à leur petit nombre d'individus, y a-t-il des risques de conflits avec les autres groupes, qui viendraient empiéter sur leur espace. Ou bien sont-ils si peu nombreux sur Terre qu’il y a de la place pour que tous les groupes vivent plus ou moins en bonne entente ? Là j’avoue que je n’ai pas de réponse tranchée à cette question ! Je pense en effet pouvoir affirmer que le revers de la médaille d'avoir une société très soudée, c’est qu’elle tolère mal les différences culturelles et s'oppose vivement aux autres sociétés, voire qu'elle les considère très vite comme des ennemies. D’où des guerres et de la violence potentielle envers « tous ceux qui ne sont pas comme nous ». C'est en tout cas la thèse de Lawrence Keeley, qui considère, données à l’appui, que la violence était omniprésente dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs ; conviction qui va à l'encontre de beaucoup d'ethnologues adorant leurs « bons sauvages » et leur mode de vie « paradisiaque » ; et qui a mené à la thèse plus globale du déclin de la violence depuis la préhistoire jusqu'à nos jours, selon Steven Pinker.

Je dois d'ailleurs admettre que personnellement j’ai un léger faible pour l’idée que nous sommes issus d’ancêtres particulièrement coopératifs, le plus souvent pacifiques, et qui doivent leur réussite à leur capacité à vivre en société ; même si de temps à autre, des affrontements meurtriers pouvaient éclater entre groupes rivaux. En fait, ces deux conceptions des sociétés primordiales ne s'excluent pas forcément l'une l'autre : elles peuvent très bien coexister ensemble. C'est donc un problème difficile à trancher de manière définitive.

Pour récapituler ce dont nous sommes sûrs, les chasseurs-cueilleurs ont pour principales caractéristiques d’avoir une division du travail entre hommes et femmes, d’être généralement peu nombreux, nomades et égalitaires, et de travailler bien moins de temps que dans nos sociétés actuelles. Leur mode de vie peut donc sembler attirant, néanmoins, le tableau d’une société à la vie douce, harmonieuse et travaillant peu, fait déjà un peu moins rêver si l’on prend en compte le fait que l'espérance de vie dans ces sociétés était très basse, la mortalité infantile tragiquement élevée, les progrès de la médecine pas vraiment rapides, et la nature souvent hostile et dangereuse... 

Mais avant d’aller souligner les différences avec le type de sociétés issues de l’agriculture et de l’élevage, une petite remarque pour les gens qui mépriseraient les chasseurs-cueilleurs en les considérant comme les représentants d’un stade inférieur du développement humain, une forme d’humanité attardée, en quelque sorte jamais arrivée à maturité. Non ! Si il y a des différences indéniables entre les sociétés, les classer selon un processus abstrait allant du pire vers le meilleur n’a aucune valeur scientifique, et cela d’autant plus que diverses sociétés peuvent coexister à une même époque : l’évolution des sociétés ne signifie pas qu’on puisse juger des sociétés « des origines » comme nécessairement inférieures à de plus « récentes ». D’ailleurs, il est tout aussi possible de considérer le sens de l’histoire de façon inverse : comme celui allant d’un mode de vie heureux jusqu’à notre déchéance… Il est facile d’y voir ce qui nous plaît !

Et puis nous pouvons être fiers de nos ancêtres qui ont bravé les dangers et ont réussi à maintenir l'existence des humains pendant si longtemps. Les chasseurs-cueilleurs possédaient un savoir considérable sur leur environnement et la maîtrise de techniques difficiles pour nous. Comme le dit très bien Lévi-Strauss : essayez donc de faire du feu avec simplement deux silex, et voyez si c'est vraiment facile !

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