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Rêve d'immortalité

Mais qui rêve d’être immortel dans ce monde de mortels ? Car vivre éternellement au sein des mortels ressemble plus à un fardeau qu’à autre chose : voir ses proches, ses amours, et même ses enfants mourir les uns à la suite des autres frôle de près l’interminable calvaire !

Alors peut-être que la solution serait de vivre en formant une société d’immortels : ensemble pour ne pas avoir à supporter la tristesse de deuils continuels. Comme semblent nous le promettre et l’espérer les transhumanistes…

Mais qui rêve aujourd’hui d’une société d’immortels ? À la longue, elle évoluera fatalement vers un monde sans enfant, que ce soit par des lois et des entraves médicales empêchant la procréation, ou par une lointaine adaptation biologique : il faudra bien éviter la surpopulation et l’épuisement des ressources qui découle d’un monde où tout un chacun peut se reproduire et engendrer toujours plus d’immortels consommateurs d’énergie et de nourriture.

Et qui dit société sans enfant, dit vie sans amour : qu’il s’agisse de l’amour porté par les parents envers leurs enfants, comme de l’amour envers un partenaire avec qui vivre en commun et élever des enfants. Car pourquoi tomber amoureux et s’attacher à une personne si ce n’est pour s’accoupler et chercher à avoir une descendance ? Tel est bien le sens de l’amour en biologie, à savoir perpétuer nos gènes à travers nos descendants, en s’attachant à eux pour les protéger et qu’ils nous protègent ! Alors oui, un monde sans enfant serait une vie où l’amour serait tristement inutile !

Et puis, même si l’on imagine un monde où quelques immortels auraient la chance d’avoir des descendants, tous ne pourraient pas en avoir, et il y aurait forcément des injustices entre des parents en couple et leurs enfants stériles et célibataires…

Mais il y a plus encore : qui dit monde sans enfant, dit monde sans sexualité, c’est à dire sans le désir puissant de s’accoupler ni le plaisir qui peut en découler (mais vous me demanderez peut-être : pourquoi est ce que le sexe, que l’on peut pratiquer sans forcément penser à la procréation, devrait forcément disparaître ? Et je vous répondrai qu’à la longue, une activité censée rapprocher les gens et renforcer leurs liens entre eux, seraient vouée à s’éteindre dans un monde où seules des unités individuelles isolées perdureraient).

Quoi qu’il en soit, à quoi ressemblerait l’immortalité si on ne pouvait pas avoir d’attaches amoureuses, sexuelles et familiales ? À un univers où l’on aurait seulement des attaches amicales, et quelques maigres plaisirs issus de ce que l’on mange, avec peut-être aussi les plaisirs des arts et du savoir, je veux dire de tout ce qui nous émeut ou nous enrichit intellectuellement…

Peut-être qu’on finirait par considérer ses plaisirs comme le sommet de la satisfaction d’être en vie, et qu’on chercherait par tous les moyens à les faire perdurer, et à augmenter ces moments de pure extase ! Peut-être que les satisfactions de nos vies actuelles se déplaceraient vers d’autres satisfactions, qui nous semblent bien pâles en comparaison des nôtres : telle que la puissance du sentiment amoureux, le désir sexuel, l’attachement à nos enfants, l’émerveillement et la joie qu’ils nous procurent, etc.

Ce serait un tout autre monde, et au fond, nous ne sommes pas si mal que ça dans le nôtre ! Nous ne sommes pas encore prêts pour devenir d’authentiques individus éternels !

Et si je puis me permettre, à en croire l’avenir que nous prédit l’astrophysique, aucune vie ne pourra perdurer éternellement dans le cosmos : tôt ou tard elle devra avoir une fin ! Déjà qu’au vu des distances et des problèmes que posent les voyages vers d’autres planètes, on peut douter qu’on vive un jour ailleurs que sur Terre. Mais si toutefois nous réussissions : alors qu’on aille de planète en planète, qu’on colonise d’autres systèmes stellaires dans la Voie lactée, ou qu’on voyage de galaxies en galaxies, si jamais l’expansion de l’univers physique continue indéfiniment, un jour ou l’autre les galaxies s’éloigneront tant et tant qu’on ne pourra plus en atteindre de nouvelles, puis les étoiles épuiseront leur combustible, les trous noirs massifs au cœur des galaxies s’évaporeront, et ce sera la fin de toutes formes de vie ! Ou alors la désintégration du vide nous anéantira avant ; ou encore l’expansion de l’univers physique s’inversera et tout finira comprimé jusqu’à cesser d’exister. Ou que sais-je encore !

On pourra peut-être un jour vivre très longtemps, mais jamais complètement éternellement.

Au fond l’immortalité est un rêve, et rêver signifie qu’on est en sommeil, qu’on ne vit pas autant qu’on le pourrait.

 

Bibliographie :

_Chaline, Jean, Histoire des grandes questions existentielles, Mythologies, religions et sciences. Ellipses, 2022.

_Ekström, Sylvia ; Nombela, Javier B. Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs. Favre, 2020.

_Mack, Katie, Comment tout finira (astrophysiquement parlant). Quanto éditions, 2021.

_Reale, Denis, Le dilemme de la gazelle. HumenSciences, 2022. (p. 237-244)

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