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La vie dans le désert

Ici, il arrive que mes tourments trouvent une résonance inattendue. Par exemple, à choisir entre la sensation permanente de soif, et la perspective d'être pris au piège, je me demande rarement laquelle des deux est la plus dure à supporter ? En effet, même si je ne peux oublier ni l'une ni l'autre, j'évite de me poser ce genre de questions : elles me poussent à renoncer à poursuivre ma route, et j'ai appris à mes dépens qu'il vaut mieux ne pas s'arrêter dans cet endroit. Il faut faire des pauses certes, mais éviter autant que possible de sombrer dans le découragement. Bref, j'opte désormais pour l'optimisme.

 

Cela fait si longtemps que j'avance dans ce désert, que je ne me souviens même plus comment j'ai pu me retrouver condamné à marcher continuellement dedans... En revanche, je me souviens comme si c'était hier d'avoir couru si fort après un mirage, que j'ai failli vouloir en finir à jamais lorsque j'ai compris que j'avais beau accélérer, je ne faisais que me rapprocher d'une illusion. Et je me souviens d'une autre fois où les mirages semblaient si proches, si mal intentionnés, que j'en ai littéralement perdu la raison. Ce qui m'a donné deux pentes supplémentaires à remonter... Comme si j'avais besoin de ça ! Saleté de mirages !

 

Mais il y a plus tangible que les mirages, et il faut bien faire passer en premier cette réalité du quotidien : en particulier, faire tous les efforts possibles pour se nourrir et boire un peu. Voilà qui occupe une grande partie du temps. Si seulement on pouvait le consacrer entièrement à retrouver son chemin ! Mais avec le temps, on découvre que c'est aussi cela trouver son chemin : que de survivre jour après jour. C'est d'ailleurs mon secret pour rester optimiste : je ne me projette pas trop loin dans l'avenir, et je regarde les progrès que je fais au quotidien, pas ceux qu'ils me restent à accomplir.

 

Et puis tenter de se mettre à l'abri des tempêtes, apprendre à décoder autant que faire se peut les signaux de danger, tâcher de lire les encouragements que nous procure la nature. Tout cela occupe aussi l'esprit... Une véritable vie parallèle qui se superpose à celle des faits. Notre esprit est étonnant ! Il donne naissance avec une facilité déconcertante à des suppositions plus ou moins étranges, qui nous captivent et accaparent notre attention. Et s'en défaire ou les valider est tellement plus long et aléatoire, puisque c'est au fil de l'expérience qu'on se rend compte qu'elles tiennent la route ou non. Si seulement je pouvais profiter de l'expérience d'autrui, comme je le faisais auparavant avec mes lectures, j'avancerai sans doute plus vite dans mon esprit comme dans ce désert !

 

En parlant d'expériences bénéfiques, j'aurai bien aimé avoir des enfants avant de me perdre sur ce terrain aride. Peut-être qu'ainsi j'aurai eu une motivation de plus pour me sortir de là : retrouver ma femme et profiter de voir grandir mes enfants. Mais c'est raté. En effet, certains traversent le désert en groupe, moi c'est en solitaire. Question de circonstances... Ceux-là ont tout compris si j'ose dire : c'est tellement plus facile de se soutenir quand on est plusieurs dans le même cas. Moi, je ne sais si on m'a rajouté une difficulté supplémentaire, mais je constate qu'on s'habitue à tout -c'est vrai- même à la solitude la plus radicale, bien que curieusement on garde toujours au fond de son esprit le sentiment qu'on n'est pas dans la normalité, que quelque chose cloche dans cette situation. Et qui dit sensation que ça cloche, dit espoir que ça change.

 

D'ailleurs j'ai fait le compte : pour en sortir, quatre solutions semblent s'offrir à moi : de la plus irréaliste à la plus éprouvante :

Attendre que le désert reverdisse,

Espérer que des secours finiront par me retrouver,

Faire enfin une rencontre qui voudra bien me montrer la sortie,

Ou bien l'atteindre par mes propres moyens...

 

Car ce désert-là me pose une question et m'enseigne une leçon...

En effet, tout désert ayant une fin, il y a forcément un espoir d'en sortir,

La question est de savoir si j'en sortirai vivant,

Et la leçon est que tant que je suis en vie, je peux toujours aller de l'avant.

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