top of page

L'androgyne travesti

A Maurice de Guérin : volupté et plénitude pour son âme.

Je n’ai ni souvenir de ma naissance, ni prescience du devenir.

Je me rappelle mon être, debout et immobile ; durant des siècles, sculpté par les vents ; ma peau lissée, mes courbes creusées et mes formes bombées jusqu’à leur perfection.

Dans un noir aussi dense qu’insaisissable, mon achèvement s’exhaussait : l’expansion d’un souffle ineffable traversa mes narines, gonfla mon envergure, puis effleura mes lèvres dans son échappement.

Le mouvement s’affina sur de longues décennies, amenant l’idéale association entre l’élégance de mon maintien et la cadence de ses ondulations.

Mes yeux s’ouvrirent par corollaire naturel, révélant la même et clarifiante étendue…

_ « Pourquoi deux yeux pour une seule vue ? » me demandais-je, avant de constater que mes yeux ne voyaient pas tout ce qui m’entourait ;

mais qu’ils étaient mobiles, et que j’étais mobile.

Comprenant alors que je pouvais parcourir le monde par les sens, puis l’embrasser par la pensée, je décidais de me mouvoir dans son exploration, m’émerveillant de pouvoir évoluer dans un paysage qu’aucune de mes facultés ne sauraient réaliser…

Dans l’ivresse de ma traversée, un imprévu se produisit : une longue plaque mirante arrêta mon attention.

D’abord surpris d’y voir des mouvements, je mis quelques instants pour comprendre qu’il s’agissait aussi des miens. Demeurant plusieurs jours en face de ce fascinant miroir, j’appris à interpréter l’image de mes réactions comme une traduction de mes sensations intérieures ; m’amenant finalement à apprécier l’image sans l’introspection.

Sentant ce nouvel acquis capable d’accroître une attirance en puissance, je n’en tirai pourtant aucune sensation : l’image était trop identique à mon humeur pour pouvoir l’influencer.

Ma frustration brisa le miroir en deux ;

m’inspirant, par ce reflet dédoublé,

l’intuition d’un corps fondé de deux unités complémentaires.

Quelques heures de jeu d’ombres et de positionnements me le confirmèrent.

L’exact emplacement trouvé, je dévisageai chaque réflexion -l’une féminine, l’autre masculine- suscitant, par liaison, l’impression de ma plénitude…

Moi, devant Elle et devant Lui, mes sexes progressèrent l’un dans l’autre, à mesure que ma respiration, intensifiée, s’amplifiait vers le débordement.

L’émotion montante, se répandit en sueur sur ma peau.

 

Depuis lors, ma perception du temps s’échappe, car lorsque je reviens à ce double miroir, j’ignore si j’y contemple l’épouvante d’une ascendance excessive : mes actes toujours semblables aux leurs, et mon regard sans cesse porté vers eux ; ou l’espérance d’une descendance exclusive : leurs actes toujours pareils aux miens et leurs vues sans cesse guidées vers moi ? 

bottom of page